En rassemblant une centaine de vues dont le statut ordinaire serait de nous faire passer à d'autres formes que celles qu'elles présentent elles-mêmes — toutes les images qui composent ce recueil ont en effet en commun d'être l'ultime photogramme ou vidéogramme d'une séquence filmée, rien n'étant dit par ailleurs sur l'origine ou le lieu de déploiement desdites séquences — Jérôme Mayer propose de retenir un monde qui se dérobe constamment, d'offrir au regard ce qui lui échappe nécessairement. A travers La dernière image (1), il s'agit de se saisir de formes résiduelles, dont la seule vocation serait d'être écartées, de laisser ou plutôt d'ouvrir la place à autre chose qu'elles mêmes, pour les mettre au centre de l'attention. La dernière image veut que notre regard puisse se tenir sur un seuil, une limite, frayer, en se donnant à lui-même la temporalité qu'il souhaite pour fréquenter une visibilité contenue dans une série de cadres identiques, à la lisière d'un monde qui ne semble venir que pour nous dire adieu. Les images ici rassemblées sont en effet produites dans l'instant où l'attention se relâche, le cadre se détend, la caméra bouge légèrement avant de ne s'éteindre. C'est un travail de l'imprécision, de la non capture, une forme de dilatation qui prend corps et se délite en même temps.
Le singulier du titre contraste évidement avec la multiplicité d'images qu'il rassemble. S'il existe une dernière image, ce n'est pas celle qui se tient devant nous, mais celle sur laquelle elle ouvre. Et en droit, c'est toute une foule d'images qui peut nous conduire à elle. La multiplicité induite par le dispositif n'est évidemment pas numérique, mais fait signe vers une diversité de formes et de situations, qui recouvrent sans doute le champ des possibilités offertes aujourd'hui, en termes d'outils ou de motifs, à la pratique d'un cinéma documentaire. Un rayon de lumière, un paysage qui ne parvient pas à se fixer, une étendue de sable et un horizon inversé, la brume ou la nuit, en train, sur une terrasse, un signal vidéo qui perd sa dernière image ou un photogramme argentique qui ne peut donner la figure qu'il imprime sans nous livrer avec elle poussières et impuretés… Toutes ces formes donnent lieu à une composition singulière, celle d'un lâcher prise, d'une intention qui se dédit pour faire droit à ce moment où le monde tremble une dernière fois avant de se retirer du cadre, de nouveau offert à la rencontre de ce qui n'en finit pas de venir.
La dernière image, Jérôme Mayer, avec une postface de Christophe Postic, Yellow Now, 2014 - 30 €
(1) L'ouvrage donne suite à une exposition qui a eu lieu à L'assaut de la menuiserie à Saint-Etienne du 25 avril au 24 mai 2014 et et à un film éponyme.