Pour créer ensemble, au début, il faut accepter l’indétermination et accueillir l’antagonisme, puis tâtonner, laisser advenir les discussions et travailler les ajustements. Ces points de départ et ces processus de création nous semblent favoriser—qu’elle qu’en soit l’issue—la construction des relations et la créativité de chacun.
Oui (je te coupe, excuse-moi), depuis le temps qu’on en parle—mais a-t-on jamais assez de temps pour la conversation?—à votre avis, à quel moment arrive la multiplicité des voix? Le «je» qui se mêle au «nous»? Mais y a-t-il simplement un «nous»?
Et ensuite? Quel est le devenir de ces paroles échangées? Art? Empowerment? Actions sociales? Et les objets et les mots qui en émergent? Leur réception?
Pour moi, ce qui est important, c’est que la voix est «radicalement sociale autant qu’individuelle, [elle] signale la manière dont l’homme se situe dans le monde et à l’égard de l’autre» (Paul Zumthor).
C’est pourquoi des prises de parole seront incluses dans l’exposition. On ne dissocie pas les différentes modalités d’énonciation (quotidienne, universitaire, poétique, issue des œuvres, des processus, des recherches théoriques…), on pense un dispositif spécifique pour accueillir les échanges. On expose des paroles et leur évanescence, mais aussi ce qu’elles produisent, ou du moins une partie. On imagine entendre les diverses interventions résonner avec les œuvres et documents matérialisés.
Reprenons un extrait du texte scientifique écrit pour préparer les deux journées d’étude: «nous nous attacherons […] à penser la manière dont chaque individu à la rencontre de l’Autre voit résonner en lui les voix multiples qui l’habitent. La création coopérative rend sensible cet état où chacun tente de jongler habilement avec cette multitude intérieure.»
Intérieure mais aussi extérieure je pense. Dans l’oralité, il y a un va-et-vient entre le collectif et l’individuel: chaque mot ou parole est imprégné d’une mémoire qui s’amplifie et se modifie dans les échanges. Il y a une actualisation du soi et du nous à chaque moment. Et dans cette importance de l’ici et maintenant, se mêlent le passé et l’avenir. Cette mémoire est aussi celle des significations et des contextes différents dont est chargé chaque mot énoncé par autrui.
Comment traduire alors? D’une subjectivité à l’autre, d’un imaginaire à l’autre, d’une langue à l’autre…
Tu penses que c’est possible?
Oui. Mais seulement si la traduction rend compte de la présence de l’autre en nous et dans nos langages.
La traduction n’est-elle alors pas simplement une autre façon d’appeler ces tentatives artistiques construites autour de l’expérience de l’altérité?
Hum… Tu crois?