Après Contes africains d’après Shakespeare et Kabaret Warszawski d’après Bob Fosse et John Cameron Mitchell, Krzysztof Warlikowski s’empare d’À la recherche du temps perdu pour en offrir une vision très inspirée, dressant le portrait d’un monde en voie de disparition avec, à l’horizon, les horreurs des guerres à venir et de la Shoah.
Il faut une certaine dose de culot pour adapter le chef-d’oeuvre de Marcel Proust au théâtre. D’abord parce que le pari est a priori impossible vu les proportions imposantes de l’oeuvre. La Recherche est un fleuve au long cours dont les eaux circulent en quelque sorte dans des directions opposées – du passé vers l’avenir et réciproquement. De là, forcément, les difficultés à l’appréhender ; à moins d’avoir un point de vue suffisamment étayé, une perspective capable d’articuler presque simultanément plans larges et plans serrés. C’est le cas de Krzysztof Warlikowski dont le nouveau spectacle a le mérite de conjuguer l’oeuvre de Proust au présent, le temps privilégié du théâtre.
Dans la Recherche, le metteur en scène voit d’abord un reportage richement détaillé sur les dernières heures d’un monde au bord de l’effondrement. Il pénètre en connaisseur au coeur même de l’oeuvre pour en extraire un montage finement tissé, transposant dans l’espace de la scène ce sentiment presque palpable d’attente imprévisible qui caractérise la quête infinie de Marcel Proust.
Articulant un espace ouvert et une vitrine dans laquelle les acteurs ressemblent à des plantes sous serre, l’ensemble se dévoile à la façon d’un paysage changeant dont on découvre progressivement les nuances et que traversent des figures ou des thèmes récurrents : l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme, la jalousie, l’homosexualité… Et finalement, la marche inexorable de l’Histoire quand l’évocation de la guerre de 1914 renvoie bientôt à ce qui va suivre : la deuxième guerre mondiale et la Shoah. / Frank Teruel