Disparu en 2014, le compositeur Robert Ashley laisse derrière lui une œuvre considérable, dont il fut souvent, comme le veut la tradition américaine, l’interprète principal. Son instrument de prédilection était sa voix, ou plus précisément, son spoken word au débit calme, posé, à l’intonation à mi-chemin entre parole et chant. Avec l’œuvre posthume Quicksand (« sables mouvants »), cette voix, réduite à un enregistrement, devient l’élément central autour duquel tout s’organise. Ce projet d’« opéra-roman » a d’abord vu le jour sous la forme inattendue d’un roman d’espionnage écrit par Ashley et publié en 2011. En 2014, sentant sa santé décliner, le compositeur a décidé d’enregistrer sa propre lecture de ce texte et d’en déléguer la réalisation scénique à des collaborateurs et amis de longue date : le compositeur Tom Hamilton – pour le paysage électronique « mouvant » qui accompagne la voix –, le chorégraphe Steve Paxton et le créateur lumières David Moodey. Musique, danse et lumière sont ici trois éléments autonomes : 16 scènes chorégraphiques et 16 scènes de lumière s’associent librement aux 48 scènes musicales, selon un découpage structurel unifiant la forme globale sans la soumettre à la nécessité d’illustrer l’intrigue. Trois heures durant, la voix narre les péripéties d’un compositeur d’opéras quelque peu baroudeur, impliqué dans le renversement d’une dictature militaire d’Asie du Sud-Est. À travers la fantaisie liée aux canons du genre romanesque viennent percer des éléments relevant de l’introspection personnelle, comme un ultime regard porté par le compositeur sur son œuvre passée. À l’un des personnages qui lui demande de quoi traitent ses opéras, le narrateur répond : « C’est difficile. Je dirais que ce sont des gens qui racontent des histoires ».