Avec Rêve et Folie, Claude Régy conclut toute une recherche qu’il a pu mener dans les contrées ultimes du langage. De Maeterlinck à Duras, en passant par Meschonnic, Sarraute, Kane et Vesaas, il a rencontré des auteurs qui lui permettaient d’exprimer l’insaisissable et l’indicible, et dont l’écriture faisait un aveu d’impuissance, se refusait à jouer le jeu de la rationalité et de l’intelligibilité. La vie même de Georg Trakl, poète autrichien dont l’existence fulgurante s’est interrompue à l’âge de 27 ans, est marquée par la transgression des limites et le franchissement des interdits. Conscient de sa propre folie et rongé par la culpabilité de l’inceste avec sa sœur, il est en rupture de tout, obsédé par sa propre destruction. En 1914, il meurt d’une overdose de cocaïne alors qu’il était pharmacien-soldat sur l’un des fronts les plus meurtriers de la Première Guerre mondiale. Son langage poétique est parcouru par les contradictions qui ont habité sa vie. Il fait agir avec force des phrases contre les autres, les unes avec les autres. Les images s’entrechoquent, les contraires sont assemblés, des associations étranges se produisent. « Le mot dans sa paresse cherche en vain à saisir au vol / L’insaisissable que l’on touche dans le sombre silence / Aux frontières ultimes de notre esprit. » Avec ce long poème de Trakl, Claude Régy poursuit son exploration de « l’outre-noir » de l’être humain et ouvre en nous des déserts de silence, des étendues sombres qui, étonnamment, nous éblouissent par leurs soudains éclats de clarté.