C’est grâce à Jon Fosse que Claude Régy a découvert l’écriture du norvégien Tarjei Vesaas, mort en 1970. Comme Brume de dieu, qu’il avait monté en 2010, La Barque le soir est un extrait de roman. Un homme dérive, « demi‑mourant », accroché à un tronc d’arbre, et perçoit autour de lui des ombres et la nature troublée par son état proche de l’inconscience. Il serait dommage de ne voir en ce texte profond et poétique que la simple histoire d’une personne qui se noie. Tarjei Vesaas crée un état intermédiaire entre la vie et la mort et interroge la nature du réel. L’eau est déjà celle du Styx qui conduit aux enfers, des oiseaux de mauvais augure crient dans les arbres : toutes les sensations sont sollicitées. Jusqu’au bout le doute subsiste sur l’issue du sauvetage et si la mort advient, elle sera peut‑être douce. Les préoccupations de Tarjei Vesaas rejoignent celles de Claude Régy pour qui la théâtralité réside dans l’écriture même. Comme toujours chez lui, la priorité est donnée au rythme et aux sonorités, le texte n’est pas uniquement un vecteur de sens. L’acteur Yann Boudaud, présent dans tous ses spectacles entre 1997 et 2001, porte seul la parole du poète, accompagné de deux figures muettes. Le spectateur pénètre dans un état instable, entre clair et obscur, qui ouvre grand l’imaginaire, au‑delà des limites du visible et du temps.
Sophie Joubert