La présence de Clara Saracho de Almeida (*1990, Pampelune, Esp.) en France est une forme d’Odyssée artistique qui l’a conduite de Porto au Portugal à Paris à l’Ecole des Beaux-Arts en passant par d’autres villes Européennes. « Odyssée », car son travail d’artiste s’intéresse à l’espace, à la géographie et à son rôle tantôt actif, tantôt passif sur l’histoire. C’est depuis la France qu’elle redécouvre la culture du Portugal, notamment à travers le cinéma et c’est dotée d’une grande finesse de perception des territoires et des sensibilités culturelles qu’elle interroge l’histoire et les mythes de l’Antiquité. Les phénomènes et les éléments naturels ne sont pas de simples outils ou des éléments de langage plastique dans son travail. Ce sont les véritables acteurs de son art. Qu’il s’agisse de la terre, du sable, de la décomposition ou de façon plus abstraite et poétique, de la lumière, du vent et de l’invisible, ces éléments sont autant de présences qu’elle incorpore dans ses œuvres, dotées d’une charge poétique largement lestée de connotations historiques, discrètes mais profondes.
Si Clara Saracho s’intéresse par exemple dans une installation réalisée en 2014 à La Rosa-dos-Ventos na tempestade un site créé au XVIe me siècle a Sagres au Portugal et redécouvert en 1919, c’est que cette vaste emprunte au sol de 43 mètres de rayon, horloge solaire disproportionnée, outils d’apprentissage nautique, ou encore symbole mystique, évoque pour elle cette combinaison essentielle de ce peut être une œuvre d’art : une manifestation d’un phénomène inspiré qui nous oblige à prendre conscience de soi à travers le temps et l’espace. Car malgré son jeune âge et la force de son intuition, c’est en philosophe que la jeune artiste approche ces questions essentielles qu’elle lance au spectateur avec une puissance poétique et une efficacité plastique extraordinaire. Quand elle convoque Strabon, géographe (64 avant notre ère et mort peu après 21 de notre ère) qui pensait dans son troisième livre de « Géographie », dédié à la péninsule Ibérique, que le Promontoire Sacré, à l’extrême Sud-Ouest du Portugal était « le point le plus occidental non seulement de l'Europe, mais encore de toute la terre habitée», elle démontre les limites de la connaissance mais aussi sa relativité.
Ces exemples permettent de comprendre le rôle essentiel qu’occupe la perception de l’espace, non seulement du point de vue de l’expérience, mais aussi de la narration, dans le travail de Clara Saracho de Almeida. Elle a très tôt intégré dans son travail le rôle historique et politique qu’occupent les territoires, et ce n’est pas innocemment que « Cais », son exposition au STUDIO de la galerie laurent mueller évoque une catastrophe navale dans la Chine du IIIe siècle ainsi qu’un drame qui a eu lieu en 1809 pendant l’avancée Napoléonienne sur Porto. Dans ce drame peu connu des non lusitaniens, un mouvement de panique d’une foule a provoqué la mort de civils tombés d’un pont constitué de barques attachées de façon contiguë. Le spectateur qui envisage la curieuse forme en mouvement et le pont de bateaux comme projeté, ne peut pas rester indifférent au contraste entre le vertige d’une suspension aérienne, le balancement des bateaux, et son propre confinement, protégé dans l’enceinte close du studio. Les palmes en mouvement qui pourraient rappeler tout autant les hélices d’un bateau ou les bobines d’un film sont aussi angoissantes et ironiques que leur mouvement est contredit par l’immobilité de l’air de la pièce.
Le vent est un élément essentiel et récurrent du travail de Clara Saracho de Almeida qu’elle met en scène dans sa vidéo « Manche à Air » présentée à l’ENSBA en 2015 dans laquelle elle révèle les mouvements de l’air du métro parisien. Ce vent omniprésent qui vient habituellement animer les vagues de ses photographies et de ses vidéos révèle ici la fragilité de ces embarcations sensées relier deux berges mais qui pourraient à chaque instant vaciller, troublant échos aux drames récurrents en méditerranée, précisément cet écho assourdissant de l’angoisse de la dérive, du départ et de l’incertitude de l’arrivée. Le déplacement des populations, le passage et l’abandon de soi par le départ sont des thèmes récurrents dans le travail de l’artiste. Sa fascination pour « Continuar a Viver », le documentaire ethnographico-politique d’Antonio da Cunha Telles, sur les déplacements des habitats de Meia-Praia à Lagos, exemplifie assez bien l’engagement intellectuel et politique de Clara Saracho de Almeida, sous des apparences poétiques et trompeusement ingénues.
M.L
DIFFRACTION, invité du STUDIO de la galerie laurent mueller
La galerie laurent mueller a choisi de confier le commissariat du STUDIO en ce début d’année 2016 à Matthieu Lelièvre (DIFFRACTION) pour un cycle de trois expositions successives. Prenant pour point de départ sa connaissance de la jeune création, le commissaire a choisi d’inviter plusieurs artistes récemment diplômés de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris.