La chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker axe son travail sur le contrepoint entre texte et danse, en respirant sur un poème en prose de Rainer Maria Rilke. Elle lui donne souffle et voix, abordant le texte comme une partition, composant ainsi la sienne.
À son habitude, la chorégraphe provoque un dialogue entre les structures, qu’elles soient musicales ou chorégraphiques, créant sa propre partition rythmique. Qu’elle choisisse la musique de Mozart dans Mozart/Concert Aria’s, Joan Baez dans son solo Once ou Steve Reich dans son duo fondateur Fase, Four Mouvements to the Music of Steve Reich, elle compose. Cette fois, elle va à la rencontre du poème en prose Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christoph Rilke que Rainer Maria Rilke écrivit à l’âge de 23 ans. Il ne s’agit pas pour elle d’élaborer à partir de Rilke une pantomime actuelle, encore moins d’illustrer le texte ou de le traduire scéniquement mais de trouver des chemins de traverse. Dans cette nouvelle pièce, Anne Teresa De Keersmaeker poursuit un amour de toujours : trouver ce qui trace la relation entre danse et texte, parole et mouvements.
« Voilà un moment déjà » écrit-elle « que je m’intéresse aux origines du mouvement. Plus encore que les pas, la respiration est un des motifs du mouvement, les plus élémentaires et essentiels à la vie. Avec l’inspiration naît le bruit, le bruit devient parole et la parole chant. Une voix ne peut mentir : elle dévoile l’intimité d’un individu (…) À ce Cornet de Rilke, je veux donner souffle et voix, en abordant le texte comme une partition. Comment incarner la langue dans une narration ? Que se passe-t-il quand on confronte la logique d’un texte à une logique de mouvement indépendante ? »
Sa danse se glisse dans le corps du texte, dans le sous-texte, elle saisit les nuances, les turbulences et s’aventure dans les zones obscures, dans les interstices dévoilés par le poète. « Peut-être » écrit Rainer Maria Rilke « que nous refaisons sans cesse la nuit le trajet que nous avons péniblement gagné sous un soleil étranger ? ». Question qu’il aurait pu adresser directement à Anne Teresa De Keersmaeker qui, sans répit, cherche la voix juste qui dira le mieux ce qui nous met en mouvement.