En résidence à Chambéry, dans une ville de montagnes et face à une salle impressionnante, Fanny de Chaillé a eu envie d'écrire un solo qui jouerait du rapport d'échelle entre l'individu minuscule et l'immensité. Elle pense alors à une toile de Caspar David Friedrich, Voyageur contemplant une mer de nuages, qui représente un homme de dos, sur un sommet, face au vide et qui, dans la grande tradition romantique, peint autant l'état d'esprit intérieur du personnage que la nature.
Baptisée Chut avec le double sens de ce qui tombe et du silence – pour la première fois, la chorégraphe crée une pièce sans paroles – la pièce explore ainsi l'imaginaire de la chute et du déséquilibre. Romantique et burlesque, avec son personnage gauche, maladroit et solitaire – pas d'amis, pas de famille, pas d'amoureux – Chut interroge ainsi la fragilité humaine et la capacité d'un être à trouver l'équilibre au sein du déséquilibre.
Car Chut joue avec le plaisir qu'il y a à voir quelqu'un tomber, accentué ici par une scénographie de Nadia Lauro dans laquelle un tapis donne l'illusion du relief. Voir un corps qui n'arrive plus à tenir debout, qui s'effondre, fait partie des constantes du comique, même si bien sûr, le plaisir est décuplé du fait qu'on est au théâtre où l'on ne tombe jamais vraiment, mais où l'on fait semblant de tomber et de se faire mal. Fanny de Chaillé poursuit ainsi un motif qu'elle ne cesse d'interroger : celui de l'illusion théâtrale, et, plus largement, des rôles que nous jouons constamment. Dans Chut, on tombe et on ne tombe pas, et c'est de cette exploration littérale des choses que surgissent l'émotion, le décalage et la poésie.