« Ce ne sont que des documents », célèbre phrase prononcée par Eugène Atget à propos de ses photographies. C’est à leur contact que Walter Benjamin comprit qu’il n’y aurait plus jamais en art « que des documents » [1]. « L’objectivité » propre aux techniques du film ouvrait une nouvelle ère esthétique où les dialectiques de la scène et de la salle, du réel et de la fiction, du sujet et de l’objet n’auraient plus beaucoup de sens. Ce temps là est encore le nôtre. Il ne fait, semble-t-il, que commencer. Dans cette perspective, il faut entendre par « fiction » et « documentaire » deux modes de conception et de lecture des images produites par des caméras. Mais toujours elles nous mettent à l‘épreuve du monde, toujours elles témoignent, en deçà et au-delà de toute intention.
Avec le FID à Marseille début juillet (qui a choisi récemment de ne plus inscrire dans son nom le terme « documentaire », dans une volonté d’ouverture et de dépassement des catégories) et Les États Généraux du Documentaire de Lussas au mois d’août (dont nous parlerons prochainement ici même), la période estivale est propice à une réflexion touchant à la manière dont le réel se donne à voir, à comprendre par le biais du cinéma. Les questions soulevées par les articles récemment publiés sur notre site en sont le reflet. Comment les archives réunies et réanimées par Jean-Claude Taki dans Ina movible se donnent au présent ? Comment César Vayssié, au moyen de la danse et du film, parvient-il à faire événement ? Ou encore, comment l’artiste britannique Gail Pickering rend-elle compte de la démarche utopique de la vidéogazette, entreprise au milieu des années soixante-dix à Grenoble, en exhumant, en exposant et en rejouant les images tournées à l’époque ?
Au mois de novembre, Le Mois du film documentaire, manifestation organisée chaque année par l’association Images en bibliothèque et dont nous serons partenaire en 2014, contribuera à ce que ce travail se poursuive. En invitant tout un chacun à montrer des films documentaires pendant un mois ; en incitant les participants à convier les cinéastes, à organiser des débats à l’issue des séance ; en mettant à l’honneur les structures de diffusion qui contribuent toute l’année à faire circuler des œuvres sur l’ensemble du territoire, ce festival décentralisé relie acte de filmer et acte de montrer. Il affirme qu’un film est mieux reçu quand il est mieux projeté. Cet esprit est aussi celui qui préside à notre démarche, qui vise à ne pas dissocier la critique de la pratique, la réception de la production, en développant un espace où acteurs et spectateurs se confondent.
Et c’est déjà ce qu’avait aperçu Benjamin dans ses articles. Au cinéma, le créateur est avant tout spectateur de ses propres images. Au moment même où celui-ci vient coller son œil au mal nommé « viseur », il vient voir, recevoir. Et l’enjeu de ce geste est toujours le même : être déchiré, é-mu, mis hors de soi [2]. Pleurer peut-être, à chaudes larmes, en découvrant que je est un autre. C’est la promesse du film, celle qu’entrevoyait déjà Atget, le premier à avoir compris que « ce qui demeure décisif en photographie, c’est toujours la relation du photographe à sa technique » [3]. Autrement dit, que l’œuvre d’art ne tient pas tant de la création que de la rencontre.
Alors bel été à vous, plein de rencontres, et à très bientôt !
[1] Voir « Petite histoire de la photographie » et « L’œuvre d’art à l’heure de sa reproductibilité technique ».
[2] Voir Du commun, philosophie pour la peinture et le cinéma (2002) et Commencer à deux (2009) de Pierre-Damien Huyghe.
[3] « Petite histoire de la photographie » de Walter Benjamin.